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Si on pensait?

19 janvier 2015

Kurultay, quand la page se tourne

Kurultay

"Si on pensait" a vécu. Né d'une soudaine envie de penser, il concrétisa une utile phase transitoire. Il a fait naitre en son auteur de nouvelles idées, de nouvelles envies. Alors aujourd'hui la page se tourne. "Si on pensait" restera là aussi longtemps que Canalblog lui prêtera vie. La suite de l'aventure, elle, va se jouer sur kurultay.fr

Je vous y attends nombreux et vous y donne rendez-vous dès à présent: il y a du nouveau!

Merci de votre fidélité et à tout de suite sur kurultay.fr

Jean-Marc LAFON

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8 janvier 2015

Le jour d'après la tuerie de Charlie Hebdo

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Les fidèles de ce blog l'auront tout de suite vu: c'est mon deuxième "le jour d'après" en à peine plus de trois mois. Le précédent était le jour d'après l'assassinat d'Hervé Gourdel...

Il est un temps pour l’émotion, déclinée selon les sensibilités de chacun. Le deuil en somme. Mais votre serviteur est convaincu qu’un devoir citoyen fondamental est d’ouvrir dès que possible le temps de la réflexion. Et si on pensait, un peu ?  Dans le conflit qui s’est décliné hier sur notre territoire national, le citoyen est acteur. D’une part parce qu’on lui tire dessus en fonction de ce qu’il dit ou pense. D’autre part parce c’est le citoyen que l’adversaire veut influencer afin de s’imposer. L’adversaire porte des coups réfléchis. La réplique, pour être efficace, doit être tout autant réfléchie, voire plus.

Il me semble donc urgent, pour pouvoir penser droit, de se débarrasser de quelques habitudes conditionnées, bien ancrées mais totalement contreproductives et qui obscurcissent le jugement.

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Clamer que ces gens-là sont des fous. Il est certes confortable de le penser. Mais non, non, et non. Halte à la psychiatrisation des conflits. Il n’y a pas de folie djihadiste. Les victimes de pathologies mentales ne s’agglomèrent pas pour développer et exercer, ensemble, dans un cadre opérationnel structuré, leurs compétences de fantassins, artilleurs, transmetteurs, artificiers, bourreaux, communicants, interprètes, etc. Rejeter notre système de valeurs, en adopter un autre — en l’occurrence une certaine interprétation de l’Islam — et s’y conformer, ce n’est pas de la folie. C’est un choix. Et de vous à moi, Al Qaeda, par exemple, n’est plus un perdreau de l’année depuis belle lurette. Ces gens savent « être et durer », c’est un signe évident de bonne santé mentale. Ils veulent imposer leur vision de la charia, vous ne voulez pas, vous les bombardez, ils vous tuent, le décor est campé : c’est une opposition violente de volontés. La définition même de la guerre...

Psalmodier : mais que fait la police ? Quel laxisme ! Ca aussi, c’est une pensée prémâchée, confortable en cela qu’elle fait croire qu’il y a des solutions faciles aux problèmes. Peut-être un peu trop faciles pour être honnêtes, d’ailleurs. Scoop : il n’y a jamais d’attentats en Corée du Nord. Eh oui, les droits individuels induisent des risques collectifs. Or, la tentation est grande de « bricoler ». Si l’on jetait toutes les expressions numériques de nos vies privées en pâture à de savants algorithmes à l'usage des "services", la DGSI pourrait cueillir les djihadistes au saut du berceau et on les coffrerait à vie au terme d’un procès d’intention en référé. Ah, qu’il serait sécurisant de sentir le souffle chaud de Big Brother dans sa nuque H 24, J 365. Un peu de sérieux, que Diable ! Certes, s’ils ont attaqué Charlie Hebdo, c’est qu’on n’a pas su les en empêcher. Mais enfin, à la guerre, quand on prend un coup, c’est avant tout parce que l’ennemi est déterminé à l’asséner. Pourra-t-on éviter toutes les attaques ? On s’en épargnera certaines, c’est sûr. La plupart, peut-être. Mais toutes, non.

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Adopter quelques bons réflexes permet à la pensée individuelle et collective de s’épanouir. Ainsi, on évitera de relayer des balivernes qui font de l’ignorance un mal plus contagieux qu’Ebola : on ne chope pas Ebola à travers un écran. Mais on y chope l’intox… Un exemple tout simple : merci de ne plus diffuser des citations du coran ou des hadiths si vous n’avez pas lu la mouture officielle au préalable. On trouve sur le net des locutions inventées de toutes pièces, des textes tronqués dont on a délibérément détourné le sens mais que de braves bougres de bonne foi ventilent à tour de bras, tout un tissu de sornettes employé aussi bien pour promouvoir maladroitement l’Islam que pour le condamner à bon compte.

Ceci étant posé, je ne vais pas me permettre de vous dire ce que vous devez penser. Je préfère vous livrer les axes de ma propre réflexion.  Et le faire au fil du temps, car ceci est un blog, pas un bouquin monolithique en dix volumes. Vous en ferez ce que vous voudrez, car c’est aussi ça, la liberté : choisir ce qu’on lit, décider d’y adhérer ou non, et passer la vraie vie au tamis de son propre sens critique au lieu d’acheter les pensées toutes faites du voisin.

Je conclurai donc aujourd’hui sur la réflexion suivante, à moi rien qu’à moi. Les gens qui ont tué froidement, posément, méthodiquement leurs congénères dans les locaux de Charlie Hebdo l’ont fait pour générer de l’effet politique. C’est à ça que servent les guerres.  Il ne s’agit pas, ici, d’être fairplay mais de vaincre. Cela s’applique aux deux camps. Si l’on estime être leur adversaire, la première chose à faire est de ne pas réagir comme ils le souhaitent, car les tripes produisent rarement de bonnes idées, si vous voyez ce que je veux dire. Ne pas se laisser conduire là où l’adversaire veut que l’on aille. Ne pas délaisser ces valeurs d'équité qui l'enragent et dont il cherche justement à nous éloigner. Et enfin mettre les pensées en ordre pour produire, individuellement puis collectivement, l'effet inverse à celui souhaité par l’ennemi. Ils veulent diviser pour régner. Les suivrons-nous ? Ceux qui font le jihad avec un clavier cherchent, via les réseaux sociaux, à alarmer les musulmans à propos d’hypothétiques actes massifs de violence à leur encontre qui, selon eux, seraient imminents. Si certains excités, au sein de la communauté nationale, offrent sur un plateau à l'ennemi les erreurs qu'il attend de nous, on pourra non seulement se poser des questions sur leur compte, mais aussi commencer à y répondre. My two cents, comme disait Richard III à Louis XVIII.

Jean-Marc LAFON

2 janvier 2015

Barkhane : réappropriation de la dimension « temps » ?

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Comme la distance, le temps se mesure. Comme celle de la distance, la perception du temps est relative : le temps peut sembler long selon les circonstances et les dispositions dans lesquelles on se trouve. Les deux notions sont étroitement liées, et le temps passé à parcourir une distance est une obsession humaine de longue date. A la guerre, nul ne songerait à alléguer que de Bamako à Tessalit il n’y a que 10 km. Alors pourquoi se condamner à la frustration en imaginant qu’une guerre devrait se jouer sur le temps court, comme si un marathon pouvait se boucler aussi vite qu’un 100 m ?      

Lors de sa visite à nos forces déployées à Madama, au Niger, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a prononcé au micro d’un journaliste une phrase qui n’a pas manqué d’attirer l’attention de votre serviteur. Voici le lien vers le reportage. La phrase clef intervient vers 1 min 20 dans la vidéo. http://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/video-jean-yves-le-drian-en-visite-au-niger-proche-des-sanctuaires-jihadistes_786241.html

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« Les opérations de contre-terrorisme que nous menons en partenariat avec les Etats de la région [...] sont prévues pour la longue durée. » Pour quiconque se fait une idée pas trop étriquée des ressorts à influencer pour infléchir la dynamique expansionniste djihadiste dans la bande sahélienne — et ailleurs car tout se tient —, la phrase pourrait sembler anodine. Mais vous l’avez sans doute constaté comme moi : en suivant chaque opération militaire française lancée à partir de 1991, la presse a commencé dès la 48e heure à évoquer le spectre — voix grave et mine lugubre de rigueur — de l’enlisement, les affres du bourbier, l’enfer du guêpier, les mâchoires du piège.

Sous cette pression zélée, l’échelon politique est souvent tenté d’user d’artifices de communication, formulant des promesses intenables de guerre éclair et de relève rapide par des forces autochtones. Chérie, aujourd’hui je libère l’Afrique de tous ses maux. Ne t’en fais pas, je passe le relai à une force autochtone vers 18h. Je serai rentré pour le diner. A lire les réactions des internautes sur les réseaux sociaux, plus personne n’y croit depuis bien longtemps et ce n’est pas dommage. L’heure n’est-elle donc pas arrivée de dire la vérité toute nue à l’opinion publique ? A la guerre, le temps est une des dimensions que l’on se doit de maîtriser. Certaines victoires nécessitent les efforts de plusieurs générations.

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Il n’est pas interdit de supposer qu’une opinion publique éclairée puisse rendre la nation plus forte quand elle adhère en connaissance de cause à une démarche aussi grave qu’une guerre. On peut même imaginer qu’elle sera plus patiente et compréhensive en connaissant l’importance du temps long dans certaines luttes. Voire qu’elle tendra plus volontiers vers un consensus pour le soutien de la démarche. Non, on n’extirpe pas une hydre djihadiste d’un territoire complexe sur tous les plans — topographique, géologique, climatique, culturel, ethnique et donc politique. Non, on ne fabrique pas une force autochtone opérationnelle en un mois, pas plus qu’en un an d’ailleurs, même — et surtout ? —  si pris individuellement, chacune de ses recrues est un guerrier-né. Quant à l’opinion publique, les vérités pénibles qu’on lui prédit lui sont souvent moins amères que la découverte tardive de vérités dont on aurait pu la prévenir.

Enfin, il n’est pas nécessairement judicieux de montrer qu’on est pressé à un ennemi qui, lui, s’inscrit au contraire dans le très long terme. Jean-Yves Le Drian a pris le parti de dire ouvertement à l’opinion et à l’ennemi que la mention « être et durer » gardait toute sa force pour la France et ses soldats. Votre serviteur espère très fort que cela préfigure la réappropriation de la dimension « temps » au service de la réinvention d'un art français de la guerre, pour et avec un peuple conscient, face aux défis d’aujourd’hui, et de demain puisqu’on a le temps.

Jean-Marc LAFON

28 décembre 2014

Etat Islamique et Stratégie

 

En préambule, pour se mettre sur la même longueur d’ondes, entendons-nous sur une acception commune du terme « stratégie ». Voyons-y, pour une grande entité humaine, le fait de se donner des buts politiques essentiels puis, pour les atteindre malgré les obstacles, d’optimiser et coordonner l’ensemble de ses moyens. La stratégie est constituée des réponses à quelques questions clefs. Quel état final recherché ? Pour l’atteindre, quel cadre éthique ? Quels moyens et méthodes ? Quels sacrifices ? La stratégie, dans notre contexte mondialisé, est un art hautement politique où le domaine militaire est un outil parmi tous les autres disponibles dans l’atelier.

Lors d’échanges sur les réseaux sociaux, la question de la stratégie de l’Etat Islamique en Irak et au Levant est parfois abordée. Je choque souvent en affirmant que l’EI est pourvu d’une stratégie parfaitement nette qu’il ne perd jamais de vue, là où bien des Etats ont laissé leur vision stratégique se flouter à force de ne plus appréhender que le court terme politique. Un argument que l’on m’oppose avec récurrence est : « se mettre tout le monde à dos n’est pas une stratégie valide ». Et pourtant…

Combien de ces frontières auront cours dans 20 ans?

L’EI a ceci de nouveau que 1) il a fondé un Etat en s’emparant d’un territoire, de ses ressources, administrant l’un tout en exploitant les autres et 2) il s’est donné dès le départ une vocation expansionniste sans limite, ni dans l’espace, ni dans le temps. La conjonction du 1 et du 2 n’était pas arrivée de mémoire de chef d’Etat quinquagénaire. Les territoires et les ressources dont bénéficie l’EI ne pouvaient être pris que par la force à leurs précédents propriétaires. L’expansion est obtenue par la guerre. Elle est le fruit de la victoire militaire. Ou des allégeances nouvelles, mais on ne prête allégeance qu’aux forts. La guerre est un passage obligatoire pour l’EI. Le jihad en l’occurrence. Son but politique est le califat global sous le régime de la charia. Une vision de long terme, irréalisable pacifiquement.

Alors « se mettre tout le monde à dos », est-ce une stratégie valide ? A mon humble avis, la question ne se pose pas en ces termes. La vraie question serait plutôt de savoir si ce fameux « tout le monde » est en mesure de détruire le califat de Raqqa. De le priver de son sol, de ses ressources, et de militants assez nombreux, motivés et organisés pour remettre le couvert ailleurs. En Libye post-BHL par exemple. Qu’on me pardonne de remuer le couteau dans la plaie, mais les talibans afghans figurent moins que jamais dans la liste des espèces menacées, et je vois mal pourquoi l’EI y entrerait avant eux. Or, il est une contrainte à laquelle même les plus grands conquérants ont dû se plier : ce que tu ne peux détruire, tu devras un jour négocier avec. Demandez à l’oncle Sam et aux frères Castro…

Le caractère international du recrutement est fort et avéré

Sur le terrain, qu’avons-nous pour détruire l’EI, et éviter de devoir négocier avec lui un jour ? Des Kurdes, des Alaouites, des Chiites, qui se battent pour atteindre leurs objectifs respectifs, pas les nôtres. Il y a également des soldats de divers horizons à qui il manque une excellente raison de mourir. Car pour faire un vrai soldat, il faut un consentement au sacrifice suprême — et on ne l’obtient pas sans bonnes raisons. Enfin, nous avons des « modérés »  dont beaucoup refusent qu’on les qualifie de tels, et dont la « modération » se résume souvent à n’être estampillés ni EI, ni Al Qaeda. Certains ont d’ailleurs tendance à prêter allégeance à l’EI quand leurs intérêts le nécessitent. Sinon, nous avons des avions, mais déjà que d’en bas on ne voit pas tout, alors si l’on n’est présent qu’en haut…

Si l’occidental a les chronomètres, le jihadiste a le temps. Or, si les dynamiques actuelles ne sont pas inversées, le temps nous mène vers une Syrie à trois axes forts : Assad, et les deux structures jihadistes pourvues d'une stratégie digne de ce nom: Jabhat al Nosra (Al Qaeda) et l’Etat Islamique. Ailleurs, la meilleure défense de l’EI est l’attaque. Il attaque en Irak et se renforce dans ses bastions syriens tout en négociant régulièrement de nouvelles allégeances de groupes rivaux. Les territoires irakiens sont la variable territoriale, où le jeu de certaines tribus sunnites peut rendre très long le processus de neutralisation de l’EI. Nous verrons ce qu'il adviendra en Jordanie et Arabie Saoudite. Pendant ce temps, l’EI progresse en Libye  via ceux qui lui ont prêté allégeance. Sans doute une future menace solide de la bande sahélienne et du Maghreb, sans parler du Sinaï, du Caucase et de maints foyers en Asie. Alors, la guerre, combien de temps, et pour quels résultats ? Pour donner l’échelle, « notre » guerre en Afghanistan a démarré dans la nuit du 7 au 8 octobre 2001. Et les Etats-Unis négocient désormais avec les talibans, faute d’avoir pu monter une coalition assez cohérente pour ramener la guerre à ce qu’elle est dans le fond : un acte visant une finalité politique identique pour tous les « alliés ».

Afghanistan: une guerre en manque de buts communs?

La guerre en Afghanistan n’est pas gagnée, pour bonne partie faute d’un but clairement défini et communément admis. Détruire les talibans ? Foutaise. Détruire la corruption ? Foutaise (bis). Quoi d’autre ? Pas tous en même temps SVP. Et les but de la guerre contre l’EI, quels sont-ils ? J’entends ici et là « détruire Daesh ». Ah OK… Les mêmes causes produisant les mêmes effets, sauf à envoyer les politiciens occidentaux en exil sur la lune et à les remplacer par des techniciens sachant se passer des conseils de philosophes entartés ou d'anthropologues du fait religieux (à tes souhaits), je crains fort que sur le terrain de la stratégie d’Etat, la critique des USA et de leurs alliés, y compris la France, soit plus urgente que celle de l’EI. L’invincibilité n’existe pas. L’incompétence, si. N'étant spécialiste de rien, je ne poserai pas de diagnostic. Mais je me permets quelques questions et j'invite le lecteur à en faire autant.

Jean-Marc LAFON

25 septembre 2014

Le jour d’après l'assassinat d’Hervé GOURDEL : quelle « guerre » ?

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Daesh, l’Etat islamique, le califat, appelez-le comme vous voudrez, est en guerre. Et sa manière de la livrer montre qu’il a compris les aspects fondamentaux du concept « guerre ». Et nous ?

Il est intéressant de noter que les médias français ont, pour nommer ce qui est arrivé au malheureux Hervé GOURDEL, majoritairement abandonné le terme « exécution », trop souvent usité pour parler des otages étrangers, adoptant celui, certainement plus approprié, d’ « assassinat ». Ca ne nous ramènera pas la victime de cet acte odieux, mais il est sain qu’on appelle enfin un chat un chat. Ceci étant, parmi ces mots dont on cerne parfois mal la portée, il est un leitmotiv délivré, parfois avec emphase et comme en 14, par les éditorialistes en ce triste matin du 29 septembre 2014 : la « guerre ».  Certes. Mais encore ?

C’est pour le passionné de stratégie presque un poncif : Clausewitz disait de la guerre qu’elle était une façon de faire de la politique par d’autres moyens. En somme, le principe est simple : dans un cadre politique, on a un objectif, et la volonté d’atteindre cet objectif. Mais quelqu’un voit cet objectif politique menacer ses propres intérêts, et donc il s’y oppose. Si cette opposition de volontés ne peut se résoudre par la négociation, elle changera de registre. Et c’est l’outil militaire qui devra permettre d’atteindre l’objectif politique en réduisant la partie adverse de sorte qu’elle ne puisse plus s’y opposer. L’opposition des volontés devient violente au sens littéral du terme. Voilà la théorie.

Voyons, dans la pratique, comment Daesh met en œuvre ces principes fondamentaux. L’état final recherché est éminemment politique : le califat islamique global dominant l’ensemble du monde selon les termes de la loi islamique. Mais cela n’est possible qu’en s’en donnant les moyens, en mettant un pied devant l'autre pour ainsi dire. Là sont les objectifs politiques actuels de Daesh : 1) contrôler un territoire pour en exploiter les ressources et y baser le noyau politique, économique et militaire du jihad ; 2) réussir une véritable OPA sur l’activisme fondamentaliste musulman sunnite à travers le monde en vue d’une démarche globale et unifiée. Le 1) a été en partie réalisé, par la voie des armes, sur de vastes portions de territoire syrien et iraquien d’où Daesh se livre à une lucrative contrebande de pétrole. Le 2) est en cours de réalisation, à travers un usage professionnel et stratégique de la communication comme un puissant outil de recrutement, y compris via la « ringardisation » d’entités préexistantes comme Al Qaïda.  

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Tâchons maintenant d’examiner la démarche que les occidentaux donnent à voir au monde à l’occasion de la crise actuelle, initiée par l’offensive audacieuse de Daesh en Irak. Dans un premier temps, l’arme de communication massive de Daesh a semé l’effroi à travers le monde en mettant en scène le sort peu enviable que cette entité réserve à ses ennemis. Dans un second temps, Barack OBAMA a ouvertement pris le parti de l’Irak et des Kurdes d’Irak — montrant là toute la souplesse de ses adducteurs — contre Daesh, en n’omettant pas de préciser qu’il n’avait pas de stratégie. Est-ce par mimétisme qu’aujourd’hui François HOLLANDE annonce, plusieurs jours après avoir débuté l’opération militaire française contre Daesh, qu’il réunit un conseil de défense pour en définir les objectifs — ce qui sous-tend qu’on a démarré une opération sans objectif ? Enfin, clou du spectacle : les occidentaux jurent leurs grands dieux qu’ils n’enverront pas de troupes au sol, annonçant ainsi à leur ennemi les limites de l’opération qu’ils ont lancée sans objectif ni stratégie.

Prenons garde car les faits sont têtus. Nous avons vu que l’un des fondements absolus de la guerre  est qu’elle sert à poursuivre un objectif politique. Mais un autre aspect fondamental de la chose s'impose à toute volonté : quand on ne peut pas détruire un ennemi, il faut tôt ou tard négocier avec lui. C’est précisément ce qui est en train de se passer en coulisses avec les talibans afghans que les occidentaux n’ont pas pu détruire. A quoi ressemblerait, dans les têtes des dirigeants occidentaux, la victoire dans la guerre que l’on a d’ores et déjà commencé à mener contre Daesh ? Je les soupçonne fortement de n’en avoir aucune idée,. Si l’on ignore ce que serait la victoire, comment voudrait-on pouvoir gagner la guerre ? Les instituts de sondage interrogent le bon peuple, lui demandant s’il est d’accord avec la guerre contre Daesh, et le bon peuple leur répond oui. La guerre contre qui, on sait. Mais à celui qui demande « la guerre pour faire quoi ? », on ne répond que par des généralités à base de lutte contre la barbarie ou pour les grands principes. Reste qu'une guerre avec des cibles mais sans objectif, sans état final recherché, n'est pas une guerre. C'est une gesticulation militaire. Or, on ne gagne pas une gesticulation. Pas plus d'ailleurs qu'une crise. Mais on peut y perdre gros.

Aujourd’hui, on prétend armer des combattants kurdes et des groupes d’opposition syriens dits « modérés ». Exprimé en termes plus triviaux, on entend leur faire faire ce que les anglo-saxons appellent « commit the dying ». C’est-à-dire qu’on voudrait qu’ils aillent se faire tuer à la place de ceux de nos braves p’tits gars qui seraient tombés au champ d’honneur si nous les avions envoyés faire leur métier de guerriers face aux activistes de Daesh. C’est oublier un peu vite que ces combattants kurdes, chiites, sunnites, yazidis, baasistes ou encore chrétiens, que pas grand-chose n’unit et que parfois tout oppose, luttent les armes à la main pour leurs objectifs à eux, qu’ils n’ont pas oublié de définir avant de mettre leur peau à l’autre bout de leurs principes. Pas pour les nôtres, quand bien même n’en aurions-nous pas. C'est là que toute alliance trouve ses limites.

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Des centaines de jeunes occidentaux, y compris des femmes, ont pris le parti de Daesh au point d’aller grossir ses rangs sur le théâtre de ses opérations. Peut-être que la perspective d’une grande aventure pour une cause aux contours bien nets y est pour quelque chose. Quand des jeunes gens s’ennuient à mourir dans un environnement débilitant, de telles perspectives les attirent parfois. Et je doute que la cacophonie politique et la gesticulation militaire soient de nature à rendre la civilisation occidentale plus « sexy » aux yeux de cette frange de notre population dont on devrait peut-être gagner la considération en même temps qu’on lui confisque son passeport. Ma foi, quitte à ce qu’ils restent, autant que ce soit dans un état d’esprit au moins pacifique. Car enfin, quid de l'évitement d'un front intérieur à notre guerre sans buts ? C’est là aussi un enjeu qui pourrait préoccuper ceux qui se chargent, du moins on l’espère, de définir enfin les objectifs de la confrontation violente de volontés que, parait-il, l’on a déjà commencé à conduire contre Daesh.

Alors ? La guerre pour faire quoi ? Comme les têtes n’ont pas fini de tomber, il serait élégant que ce ne soit pas pour rien. Car à errer sans but sur les sentiers de la guerre, on y devient vite le faire-valoir de ses ennemis.

Jean-Marc LAFON

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14 août 2014

Chemtrails, Goldman et adultère.

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J'ai bien dormi depuis mon dernier billet ici, en avril 2013... D'ailleurs, si, en ouvrant les yeux, la belle au bois dormant avait vu la moitié du quart de ce qui a sauté aux miens quand j'ai repris vie, le prince charmant aurait ramassé un triple coup de boule rotatif sur l'arête du nez. Franchement, pendant que je ronflais paisiblement dans ma chambre, vous auriez pu ranger un peu la vôtre. Le monde est en vrac. Je ne vous félicite pas.

Tout ça m'a donné envie de penser... à autre chose. J'aurais pu vous entretenir des antagonismes qui divisent l'Islam et dont on ne vous parle jamais; du Hezbollah qui passait malencontreusement dans un tunnel quand le Hamas l'a appelé à ouvrir un second front; du clan Qawasameh dont le nom vous serait familier si la malbouffe de l'info ne privilégiait pas le volume au détriment du contenu; du gloubiboulga hétéroclite qui tisse la majorité de gouvernement en Israël; de l'instructive et méconnue biographie du maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi... Mais la vie est longue, n'est-ce pas? Nous verrons cela plus tard, peut-être. Mais avant, rafraîchissons-nous.

Je le rappelleskyche10[1], le fonds de commerce de mon rade, c'est la promotion d'un exercice fondamental: penser par ses propres moyens. Rechercher des liens de cause à effet, décrypter des systèmes, éprouver et optimiser son sens critique en ces temps où nos cerveaux ont à traiter le plus grand volume d'informations jamais déversé sur des neurones humains. Etre un citoyen aussi éclairé que possible plutôt qu'un obscur administré. L'autre jour sur Twitter, j'ai vu passer le lien d'un article confrontant la théorie des "chemtrails" à quelques faits simples et têtus. La théorie des "chemtrails", c'est cette frivolité qui promeut l'idée selon laquelle des agences gouvernementales mettraient des cochonneries dans les traînées de condensation des avions pour prendre le contrôle du climat, de la démographie et de l'économie. C'est par là: ***clic!***

Cet article m'a bien plu. Ecrit dans un français agréable, il s'appuie sur des faits, cite des sources, s'avère exempt de traces d'hystérie individuelle ou collective, et nous fait grâce des divers fondamentaux de Schopenhauer auxquels il faut bien s'astreindre quand on n'a pas d'arguments (1). En soi, c'est déjà beaucoup. Sur la blogosphère "engagée", c'est d'autant plus remarquable. J'ai donc eu plaisir à lire ce billet dans les instants qui ont suivi sa parution. Puis un tweet de l'auteure a prédit des commentaires épiques. Saisi d'un élan taquin, votre serviteur a donc aussitôt commenté l'article (sous le pseudo "JML") en parodiant la théorie du complot, sur le thème du monoxyde de dihydrogène (non-initiés, jetez un œil à Google SVP) et de la manière dont, congelé, il trouble, sitôt mis à son contact, le whisky single malt non filtré à froid. D'autres ont saisi la balle au bond et témoigné des effets de cette substance sur leur pastis du soir.

La blague s'est installée, et c'est fier de mon mauvais coup que je suis parti vaquer à d'autres occupations. C'est alors qu'un torrent de commentaires est tombé, parmi lesquels bon nombre déroulaient avec véhémence, et avec autant de sérieux que de bonne foi, la théorie complotiste des "chemtrails". Plutôt que de les citer ici, je vous invite à les lire, ils s'étalent longuement sous l'article. Pour tirer le meilleur parti de cette expérience extrême, ayez la curiosité de relever, dans le détail, les éléments factuels qui les étayent et les liens de cause à effet qu'on y établit entre lesdits éléments. Ceci fait, revenez me voir, nous aurons bientôt terminé notre voyage aux frontières du réel.

Depuis le démarrage du présent blog, j'aime à vous parler, peu mais sincèrement, de ce qui ne figure pas à l'avant-plan de l'info "de masse". J'ai écrit que ce qui nous était caché pouvait s'avérer au moins aussi passionnant que ce qui nous était révélé. Mais enfin, restons-en à la pensée et laissons là les arts divinatoires. Que chacune de nos certitudes naisse sous forme d'hypothèse. Qu'elle soit mise à l'épreuve de faits avérés. Qu'on la valide en la démontrant. Tdjembeant que subsiste le moindre point d'interrogation, gardons-nous des certitudes indues. Où l'on ne voit rien, peut-être qu'on nous cache quelque chose. Mais peut-être aussi qu'il n'y a, de fait, vraiment rien... Je ne me lasse pas de mesurer la foi inébranlable qui anime certains dans leur soutien inconditionnel, parfois même virulent, à des thèses fort osées sans qu'ils ne mettent jamais en avant quoi que ce soit qui relève de l'argument construit. Et je ne peux m'empêcher de penser qu'entre leur exaltation et celle des trancheurs de têtes au nom de Dieu, il y a trop de points communs, même si le contexte diffère. Le marteau de Nietzsche et rien d'autre! Vous pouvez brailler tant que vous voulez, comme le disait Sun Tzu à Yannick Noah, si ton djembé sonne creux, c'est parce qu'il n'y a rien dedans.

 

 

De la pensée800px-Jean-Jacques_Goldman_-_may_2002 construite à la divagation de l'esprit, il n'y a qu'un pas. Il tient à ce que l'on a envie de croire, souvent par confort, parfois par peur de découvrir desalités angoissantes. Affirmer, quitte à lyncher ses contradicteurs pour hérésie, qu'une hypothèse non étayée est vraie sous prétexte que la preuve du contraire n'est pas apportée, c'est aussi valide intellectuellement que de lapider sa femme parce qu'elle ne peut pas prouver qu'elle n'a jamais couché avec Jean-Jacques Goldman. D'ailleurs, ça me fait penser... Goldman serait, selon le JDD, la personnalité préféré des Français. Et donc des Françaises. Il n'y a pas de hasard. En plus elle a tous ses disques. Il n'y a pas de fumée sans feu. Ah la garce, elle va m'entendre!

Jean-Marc LAFON

 

 

 

(1)  Cliquez ici pour découvrir "l'Art d'avoir toujours raison" d'Arthur Schopenhauer sur WikiSource.

 

9 avril 2013

Ces coïncidences, clins d'oeil de Dieu et coups du père François...

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L'auteur de ce blog tient à préciser qu'il n'a aucun lien avec la page Facebook créée le jour même de la publication de "Si on pensait?", dont le titre est la copie presque (à deux lettres près) conforme de celui d'ici, et dont le penseur de Rodin me laisserait songeur si j'étais d'un naturel méfiant. Je reste émerveillé de ce que les coïncidences peuvent produire, et je suis même à deux doigt de supposer qu'il s'agit là du premier miracle pontifical du pape François. Il s'agit certes d'un tout petit miracle d'essai, mais soyons indulgents. Même un pape a le droit d'être débutant. Mais pas trop longtemps, hein! 

8 avril 2013

De la république exemplaire en Gaule contemporaine

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Ce matin, votre serviteur s'est levé avec le cœur gros. Que voulez-vous, je m'étais couché hier soir l'âme légère, fort d'une confiance inébranlable en la classe politique, en sa volonté de rendre au pays son statut de terre des Lumières, et ce via l'intégrité notoire et exemplaire dont elle a toujours su faire preuve, au service de l'humanisme et de l'équité. Et aujourd'hui, patatras! Je découvre qu'après les prêtres pédophiles, les présidents normaux et les patrons de bars buveurs d'eau, voilà que désormais, il se trouve, parmi nos hommes et femmes politiques, des personnes malhonnêtes. J'aime autant vous dire que ça m'a fait un choc.

Bien, où en sommes-nous de cette "affaire Cahuzac"?

Déjà, une chose est sûre, monsieur Cahuzac a un casier judiciaire vierge. Vous pensez bien que dans le monde où l'on vit, il ne serait venu à l'idée de personne d'embaucher un ministre du budget repris de justice. Le hic, c'est que monsieur Cahuzac est tout de même, pour paraphraser Coluche, un repris de justesse... Lisez plutôt: http://www.ladepeche.fr/article/2007/11/10/223413-jerome-cahuzac-reconnu-coupable-mais-sans-peine.html

On le découvre dans cet article de la Dépêche: J. Cahuzac déteste la médiocrité. Rendons hommage à ce noble penchant et continuons donc, pour nous élever, à effeuiller les petits aspects méconnus de la biographie de l'intéressé. Ainsi donc, cette sombre histoire de travail dissimulé aurait fini devant un tribunal correctionnel du fait d'une lettre anonyme. J'ai peine à croire que de telles choses puissent arriver en France, tant il est vrai que la lettre anonyme ne fait vraiment pas partie de notre culture nationale, sauf peut-être quand il est question d'occupation allemande ou de dénonciation au fisc. Reste que comme moi aujourd'hui, J. Cahuzac a ainsi eu l'occasion, en 2007, de redécouvrir que la vie politique pouvait compter son lot de vacheries, coups bas et autres boules puantes. J'écris "redécouvrir" car ce secrétaire d'Etat qui, sous Evin et Rocard, négociait avec les laboratoires pharmaceutiques, et qui, viré le 15 mai 1991 de son ministère, subissait un contrôle fiscal le 20, avait eu certains avant-goûts de l'ambiance qui règne dans le carré des dirigeants. Il savait donc avant moi qu'il y avait des salauds en politique. Je le note...

Ce constat étant établi, je me trouve dans la situation un peu pénible du bisounours perdu dans l'univers de Michel Berger, et qui sent confusément que...

Il se passe quelque chose à Monopolis
Cette ville où il n'arrivait jamais rien
Où l'on n'appelait la police
Que si l'on avait perdu son chien

Bref. Je vais arrêter de vous chanter la ritournelle du ravi de la crèche, on pourrait finir par y croire. Un ministre du budget, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce que ça fait? Puisons l'information à la source, c'est à dire le décret n° 2012-796 du 9 juin 2012 "relatif aux attributions déléguées au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur, chargé du budget": http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025990799&dateTexte=&categorieLien=id

Explication de texte: un gouvernement, c'est un réseau de fusibles. Eh bien là, on découvre en somme que le ministre du budget n'est autre que le fusible du ministre de l'économie, des finances et du commerce extérieur, qui, lui-même, est le fusible du Premier ministre et du locataire de l'Elysée. J. Cahuzac occupait un poste à risque, où l'on est soumis à des pressions intenses, car on est celui qui tient les cordons de la bourse, celui qui propose les restrictions et les largesses, et donc celui qui attire sur sa tête les feux nucléaires des divers cercles d'influence qui s'arrachent les financements publics. Ces lobbies comptent (liste non exhaustive) des politiques de haut rang et notamment des ministres, des hauts fonctionnaires, bon nombre de chefs d'entreprises de France comme de l'étranger dont le chiffre d'affaires dépend des budgets que tel ou tel ministère veut bien dépenser à leur profit, des Etats même, et bien sûr certains réseaux médiatiques dévoués. Suivez-vous le cheminement de ma pensée?

Rubik Cube

Eh bien figurez-vous que j'ai du mal à croire ce que je vois. On me livre l'image d'un ministre malhonnête parmi les vertueux, pris la main dans le pot de confiture alors qu'il prônait le régime sec et l'ascèse fiscale pour ses concitoyens. Ce vieux guerrier des paniers de crabes aurait été suffisamment naïf pour croire qu'à son poste et par les temps qui courent, son compte en Suisse non déclaré au fisc français resterait indétecté? D'autant que, de toute évidence, il y avait du monde dans la confidence, à en croire la teneur de la conversation téléphonique enregistrée, et le témoignage de l'avocat Philipe Péninque relaté ici: http://www.lepoint.fr/politique/l-avocat-qui-a-ouvert-le-compte-de-cahuzac-dit-ignorer-qu-il-n-etait-pas-declare-04-04-2013-1650060_20.php

Tout, dans le traitement public de cette affaire, sonne faux. Au gouvernement, personne ne savait. Dans l'opposition non plus. Au FN, en dehors de P. Péninque, on ne savait pas. Au sein des administrations et institutions qui essayaient de sauver leur budget sur le dos des petits camarades, on ne savait pas. Parmi les industriels bien placés dans les cercles d'influence divers et variés, on ne savait pas. Dans les 700 "comités Théodule" de la république, auxquels J. Cahuzac s'était promis de faire la chasse, on ne savait pas. Dans ce monde où les grands et petits pontes se font un devoir de tout savoir sur tout le monde de sorte à pouvoir faire chanter les casse-pieds le cas échéant, tout le monde ignorait donc que ce vétéran de l'ère Rocard, ce chirurgien plastique fortuné et reconnu jusqu'au Moyen-Orient, ce distingué client des plus prestigieux établissements du XVIème arrondissement, possédait des fonds non-déclarés à l'étranger. Il a fallu qu'un investigateur de Mediapart ait une intuition géniale un beau matin en allant à la machine à café pour que le pot aux roses qu'ignoraient tous les influents de France et de Navarre soit découvert. 

Qu'on pardonne mon scepticisme, mais c'est plus qu'un doute qui m'étreint. En outre, quand on a des cadavres dans les placards et qu'on accepte néanmoins les postes à haut risque,  c'est que soi-même, on en a quelques savoureuses à balancer sur ses petits camarades. C'est la dissuasion nucléaire des milieux influents: je sais que tu sais, tu sais que je sais, vivons donc en paix... Supposition, me direz-vous? Non, connaissance de certaines constantes qui traversent l'Histoire du monde, que l'on retrouve à travers les biographies de tous les hommes influents depuis l'antiquité. Depuis la nuit des temps, l'homme de pouvoir doit, pour conserver une certaine liberté de manoeuvre, connaitre les casseroles que traînent ses collègues de tous bords. Et, ça va de soi, tâcher de ne pas avoir plus de casseroles que les copains car on pencherait alors du côté où l'on va tomber. Or, J. Cahuzac a, d'une manière ou d'une autre, subi la rupture de ce fragile équilibre. J'en veux pour preuve qu'à l'heure où je vous écris, il n'a encore balancé personne...

Alors, que ne nous dit-on pas? Car après tout, le plus intéressant, c'est généralement ce qu'on nous cache. Sinon on ne le cacherait pas, n'est-ce pas? Premier détail croustillant qui échappe à notre soif de savoir: d'où vient le missile qui a frappé J. Cahuzac en pleine figure? De la droite, serait-on tenté de dire? Le scénario n'est pas déplaisant, et que Michel Gonelle, ancienne figure du RPR puis de l'UMP dans le Lot et Garonne, ait contacté l'Elysée  pour authentifier l'enregistrement litigieux, voilà qui pourrait laisser à penser que la boule puante venait de la droite. Pourtant, quelle ne fut pas la surprise de votre serviteur quand, alors que Marine Le Pen exigeait la dissolution de l'Assemblée nationale, Jean-Pierre Raffarin est sorti de sa réserve pour affirmer qu'un remaniement ministériel suffirait, car "nous ne sommes pas prêts pour la tenue d'élections" ! De mémoire de spectateur passionné de la scène politique depuis le début des années 1980, on n'avait jamais vu un groupe parlementaire refuser la dissolution quelques jours après avoir déposé et défendu une motion de censure! Pour un peu, on aurait l'impression que l'affaire Cahuzac les dérange dans leur remise en ordre de la maison UMP, laissée en piètre état après une chaotique vendetta interne... On veut bien croire que ça vienne d'eux, après tout: peut-être nettoyaient-ils leur tire-boulette après une vague d'assassinats politiques fratricides, et le coup sera parti tout seul...

 

Mais alors qui? Voyons d'où vient l'enquête assassine: Mediapart. Voyons donc qui dirige cette structure. Nous n'avons pas là, c'est le moins qu'on puisse dire, une émanation du bureau national de l'UMP... Un soir, écoutant France Info d'une oreille distraite, j'entendais Edwy Plenel souligner, en gage d'indépendance, que Mediapart avait non seulement été acteur dans des affaires "de droite" (Bettencourt...), mais aussi "de gauche", avec J. Cahuzac. Certes. Qu'il le fasse remarquer m'a tout de même fait un drôle d'effet. Il n'est pas courant pour un patron de presse, notamment celui-là, de brandir une tête tranchée en se réjouissant de ce qu'elle soit de gauche. 

Bien sûr, il y a la piste des ministères menacés par les coupes budgétaires. Cela dit, qu'on me pardonne si je privilégie un instant l'intuition aux dépens de la raison, mais il me semble particulièrement farfelu d'envisager, par exemple, un complot de Jean-Yves Le Drian, des armées et de Nexter pour sauver le porte-avions Charles de Gaulle menacé de chômage technique. D'autant que J. Cahuzac était une pièce maîtresse de la machine Hollande. Tout fusible qu'il était, on ne parle pas du premier lampiste venu, qu'on est prêt à craquer comme une allumette pour couvrir ses arrières. D'ailleurs, il fut lui-même couvert du 4 décembre 2012 au 19 mars 2013, dates, respectivement, de la parution du premier article dérangeant de Mediapart et de sa démission du gouvernement. Et quand j'entends Harlem Desir promouvoir un referendum sur la moralisation de la vie politique, je me dis que vraiment, il serait douteux que le missile soit venu de ce coin-là du paysage politico-magouilleur. D'une part, même Harlem Désir sait qu'il est tout à fait ridicule de nous demander, en creux, si oui ou non nous souhaitons que nos élus se goinfrent sur notre dos et cachent au fisc le produit de leurs méfaits. D'autre part, qu'une telle proposition émane de lui prête, pour le moins, à sourire, quand on veut bien se rappeler sa condamnation à 18 mois de violon avec sursis pour recel d'abus de biens sociaux en 1998... Tout ça sent l'improvisation. On s'accroche aux branches, on gère mal la crise, on est aux abois.     

Quant au clan Le Pen, il n'est pas dans ses habitudes de balancer les petits vices des uns et des autres. Le fameux équilibre de la terreur, "je sais que tu sais, tu sais que je sais, vivons donc en paix" ? Peut-être bien. Reste que J. Cahuzac n'est pas le premier magouilleur à traverser le champ visuel du FN. On voit mal pourquoi la famille frontiste aurait traqué ce coquin-là plutôt qu'un autre, et ces gens-là sont des pragmatiques: ils ne font rien sans but, surtout quand ça fait beaucoup de bruit. Si le tumulte actuel profite au FN, ne rêvons pas: il n'avait, comme d'habitude, qu'à attendre la prochaine ânerie pour qu'elle survienne bien vite, pas besoin de se risquer à la provoquer soi-même.

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"Je sais que tu sais, tu sais que je sais, vivons donc en paix". Quelqu'un qui évoluait dans l'environnement de J. Cahuzac n'adhérait pas à ce principe et a préféré "tu sais que je sais, alors lâche l'affaire ou je te balance sans craindre ta riposte". Parce qu'il n'a rien à se reprocher? Ou parce qu'on lui en a déjà tant reproché qu'il n'a plus rien à perdre? Pendant ce temps, une note interne de Bercy, relative aux tractations avec Bernard Tapie et fort embarrassante, entre autres, pour Christine Lagarde, vient d'être exhumée et publiée, fin mars, par... Mediapart. Au grand jeu de ceux qui savent, je me surprends à imaginer qu'un joueur en sache plus que les autres et qu'il ait commencé à casser du politicien pour prouver sa détermination. 

A trop essayer de penser par mes propres moyens, voilà que j'échafaude de bien étranges théories. Ce sera l'occasion pour moi de confronter mes réflexions aux faits. Nous aurons sûrement l'occasion de reparler de tout cela, ne serait-ce qu'en suivant les trajectoires respectives de tout ceux dont nous venons d'examiner sommairement les heurs et malheurs...

 

 

 

17 mars 2013

Naissance du blog "Si on pensait?"

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Il est né le divin enfant! Bon, ça, c'est fait. Un blog de plus sur le net. Pour un évènement, c'est un évènement, n'est-ce pas? Champagne! Bon, blague dans le coin, qu'est-ce qu'on fait là? 

Votre serviteur se définit comme un indépendantiste de la pensée, un intégriste du sens critique, un esthète de l'irrévérence et l'ennemi juré de la malbouffe intellectuelle. Zut alors, se dit le lecteur consterné! Encore un intello tombé de nulle part, qui a un avis sur tout et qui vient de découvrir le moyen de le faire savoir! Ah mince... Démasqué! Bien vu, c'est exactement ça!

Il y a des mots qu'on entend, qu'on prononce, et qui pourtant n'évoquent qu'une idée vague. Tenez, "les médias". C'est l'exemple type de ces choses à propos desquelles on ne se pose guère de questions. C'est dans le journal de ce matin. "Ils" en ont parlé à la radio. "Ils" l'ont montré à la télé. C'est keskydit le mec sur Internet. Autant de phrases courantes, n'est-ce pas? Courantes, mais pas anodines. Car voyez-vous, c'est vrai. Ca ne peut être que vrai. Mais si! Puisque, nom de Dieu, ils l'ont dit à la télé! Mais ces "médias", qui est-ce? Qui a conçu le message qu'on nous adresse? Un professionnel objectif soucieux d'informer? Une sphère d'influence? Suis-je informé? Manipulé? Pollué par une information non vérifiée?

La petite ville de Fouilly-les-Oies est sous le choc ce matin après que [...] Ca vous parle? Eh oui, ça vous parle. Après un drame, on est sous le choc, morbleu! Sinon ce ne serait même pas la peine de déplacer un pigiste, enfin quoi, soyez à ce qu'on vous dit! Allons faire un tour sur Google actualités et faisons une recherche avec, entre guillemets, l'expression clef "sous le choc"... Edifiant, non?

Scènes de pillage ce matin à Tombouctou après que [...] Ca aussi, ça a comme un air de déjà vu, non? Eh oui, depuis pas mal d'années, on ne sait parler de pillage que si on a dit "scènes de" avant. Ca marche aussi avec la liesse, le chaos, la panique et plein d'autres trucs. On rejoue à Gogol N'actu? Bon, là, on est pollué par une série TV (que j'aime bien, au passage) et par des scènes de sexe (mais comme ce sont ceux qui en parlent le moins, etc., on va passer à autre chose).

A ce stade-là, c'est amusant, éventuellement agaçant, mais pas bien grave. Ca évoque ce sketch de Coluche où il paraphrasait un reportage TV. "Dans les milieux autorisés, on s'autorise à penser qu'un accord secret pourrait avoir été signé...". Et le grand Coluche de conclure: "Alors ils voudraient qu'on soit intelligents et ils nous prennent pour des cons ? Ben, comment on ferait alors ?" C'est ce qu'on va essayer de voir dans ce blog!

Mais il y a autre chose, d'encore plus ennuyeux à mon sens. Avez-vous remarqué que lorsqu'un sujet chaud émerge, on lit et entend souvent, aux quatre coins de la sphère médiatique (c'est très con comme formule, je l'ai piquée dans les médias!) les mêmes argumentaires, les mêmes tournures de phrase, les mêmes mots? Les milieux politiques nous y ont habitués: ce sont "les éléments de langage". A propos du Mali, tous les membres de la majorité emploieront exactement les mêmes mots à base de terrorisme, de forces africaines et de retrait des forces françaises pour vous expliquer: "on est juste allé torcher les terroristes, et on repart demain, ce sont les forces africaines qui prendront le relai". Ce qui est par ailleurs loin d'être évident mais nous en reparlerons bientôt. L'élément de langage est une arme de saturation. Napoléon considérait la répétition comme la figure de rhétorique la plus puissante. Il avait raison. Une foutaise mille et une fois répétée devient une vérité communément admise.

L'élément de langage n'émane pas forcément des milieux politiques. Restons sur notre exemple malien. Vers la fin du second jour du conflit, j'ai monté le volume de France Info et j'ai rafraîchi la page Google Actu toutes les 5 secondes, la bave aux lèvres, en l'attendant. Mais en attendant quoi? L'élément de langage surgelé! Le prêt à penser qui traîne au congélo et qu'on sert au dîner dès qu'une opération militaire atteint sa 40ème heure. J'ai nommé l'enlisement, le bourbier! Ne rigolez pas, je l'ai eu. Et dans les temps! Grands Dieux, que de souvenirs! On l'a entendu, déjà, à propos du Golfe le 19 janvier 1991, deux jours après le déclenchement des opérations. Plus près de nous, la Côte d'Ivoire et la Libye ont eu leur lot de "risque d'enlisement" et de "nouveau bourbier". L'élément de langage surgelé, c'est de la vente d'angoisse. On ne sait que dire à propos d'un sujet, alors pour faire un papier, on exploite les peurs. Saupoudrez de risques d'attentats et de possible hausse du prix des carburants et ça vous remplit honnorablement (ou pas...) une page blanche. 

Et les sondages... Ah, les sondages! Le sondage est à l'info ce que le Diable est au bon Dieu. Tenez, dans "les médias", j'en ai découvert un sur la croissance. "51 % des sondés considèrent qu'il faut donner la priorité à ce sujet [la croissance, ndlr] plutôt que de chercher à respecter l'objectif d'un déficit limité à 3 % du PIB." Ok. Amusons-nous. Autour de vous, interrogez un échantillon représentatif de la population: un énarque, un balayeur, une caissière, un chauffeur de bus, un de taxi, un flic, un dealer, un épicier, un PDG, un militaire, un chômeur, un marin, un plombier, un clodo (pardon, un SDF, comme ça il aura moins froid), un joueur de foot et un flûtiste. Demandez-leur ce qu'est, selon eux, la croissance. Le PIB. Le déficit du PIB. Et enfin la relation entre les trois. Question subsidiaire: demandez qu'ils vous définissent "la crise". Et là, vous découvrirez que 80% des sondés ne comprennent rien à tout ça mais qu'au lieu de leur expliquer, on leur demande ce qu'ils en pensent. Mais du coup ils sont contents: puisque la majorité des sondés donnent la priorité à la croissance, on va penser comme eux. On sait toujours pas cékoitesse, mais au moins on a un avis. Jamais personne ne va donc venir leur dire, aux sondeurs: "explique-moi, informe-moi, rends-moi savant, fais de moi un pilier de la démocratie au lieu de me demander mon avis sur ce que tu me caches" !!??

Bref. "Si on pensait" va s'autoriser à penser des trucs. Journaux, radios, télés et web sont autant de théâtres où s'affrontent les milieux d'influence et où s'exerce une certaine paresse intellectuelle. Au détriment de l'information des masses. Au détriment de notre libre arbitre, donc. Car la démocratie, c'est le fait d'un peuple qui comprend la portée de ses choix. Votre serviteur parcourra l'univers impitoyable des médias, et quand son chemin croisera une tentative de nous prendre pour des jambons, il viendra mettre le coupable au piquet de la blogosphère. Qu'il soit de droite, de gauche, religieux ou laïc, beau ou moche, noir ou blanc. Je n'ai pas l'ambition d'améliorer le monde via ce petit outil. Juste celle de me faire un peu plaisir et, si c'est possible, de le partager. On ne vit qu'une fois, que Diable!  

A la bonne vôtre donc, et maintenant... si on pensait?

SOP.

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Si on pensait?
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